

LA MAISON DE LA HARPISTE


Aux origines de l’urbanisation : les niveaux anciens de la Verrerie
Les fouilles réalisées entre 2013 et 2017 ont renouvelé notre compréhension de l’urbanisation de la rive droite du Rhône entre 100 et 40 av. J.-C. Cette période charnière marque l’intégration d’Arles à la Gaule transalpine sans qu’elle soit encore une colonie romaine. Contrairement à ce que l’on pensait, ce secteur de la cité n’était pas vierge de constructions avant la fondation de la colonie romaine d’Arles en 46-45 av. J.-C.
Des sondages restreints menés en fin de fouille à l’automne 2017 ont révélé, sous la maison de la Harpiste et ses abords, une occupation, vraisemblablement un habitat daté du début du Ier siècle av. J.-C.
Murs en grand appareil, sols en béton de tuileau, fragments de stuc peint et mobilier céramique importé se rattachent à la sphère culturelle gréco-italique qui se rapproche de celle de la maison de la Harpiste qui lui a succédé. La réutilisation d’éléments architecturaux, comme un puits par la suite intégré dans la maison de la Harpiste, confirme une continuité d’occupation.


Une maison d’exception avant la colonie
C’est dans ce contexte déjà largement romanisé que s’implante la maison dite « de la Harpiste », du nom d’un personnage figuré dans son décor peint.
Construite entre 70 et 50 av. J.-C., sa conservation remarquable est due à son abandon volontaire entre 50 et 40 av. J.-C., suivi d’un comblement par un remblai de destruction de 1,40 mètre d’épaisseur, riche en briques, enduits, fragments de plafonds et vestiges architecturaux.
Les études en cours des différentes catégories de matériel (peintures, tuiles, vaisselle, graines…) révèlent que le propriétaire a vraisemblablement fait venir d’Italie des matériaux de construction et une main d’œuvre spécialisée pour construire et décorer sa maison, des plantes comme le cyprès, alors absent de notre territoire pour agrémenter son jardin et même de la vaisselle et des produits de consommation pour ses repas.


Le plan classique d’une domus romaine
Sur 105 m² fouillés, la maison présente le plan traditionnel d’une maison urbaine (domus) de la fin de la République : un atrium central partiellement couvert, doté d’un impluvium (bassin collecteur des eaux de pluie), autour duquel s’articulent les pièces.
À l’est, une colonnade s’ouvre sur un jardin. Deux pièces contiguës ont été fouillées intégralement : l’une, une chambre ou une salle à manger, possède un sol en béton incrusté de pierres colorées et des murs peints décorés de décors architecturaux ; l’autre, ouverte sur l’atrium, était vraisemblablement une salle de réception. Elle se distingue par un sol peint et un décor mural exceptionnel, notamment la représentation de la harpiste.
Matériaux et techniques innovants
La maison adopte des modes de construction et de décoration caractéristique du monde romain et encore très peu diffusés en Gaule à cette époque (70-50 av. J.-C.). Mur maçonné en béton (opus caementicium), sol en briquette (opus spicatum), décors peints avec des figurations de grande taille, tuiles et gargouilles décoratives en terre cuite en témoignent. Ces innovations techniques traduisent l’intervention d’artisans (maçons, peintres, tailleurs de pierre, tuiliers) susceptibles d’être venus d’Italie pour construire cette maison.












Un jardin à la romaine
La colonnade et le stylobate bordant l’atrium suggèrent une ouverture sur un espace végétalisé. Des analyses de graines extraites des sédiments du puits ont permis de reconstituer un jardin mêlant plantes vivrières (légumes, aromates) et ornementales (cyprès, myrte, buis). Le cyprès, en particulier, constitue le plus ancien témoignage connu en Gaule, suggérant que le propriétaire a importé ses plants d’Italie pour reproduire son jardin à la romaine. Ce jardin souligne l’adoption de tout un art de vivre inspiré des élites italiennes.
Un chef-d’œuvre pictural en Gaule romaine : les décors peints de la maison de la Harpiste
Le décor peint de la maison de la Harpiste est une référence en Gaule. Cet ensemble révèle une qualité d’exécution, une richesse iconographique et un état de conservation inégalées pour cette période. Près de 1 000 caisses de fragments ont été collectées, dont 800 issues de cette seule demeure.


À cela s’ajoutent les huit parois peintes prélevées par les restaurateurs, l’une d’elles préservées sur une longueur de 4m60 et une hauteur d’un mètre. Dans le cadre de l’étude, une vingtaine de décors ont été identifiés. Ils relèvent du deuxième style pompéien qui se caractérise par une imitation d’éléments architecturaux intégrant des compositions illusionnistes.
Ce type de peinture, en vigueur en Italie a essaimé dans l’Empire au gré des conquêtes. Seuls les plus riches commanditaires, pétris de culture romaines, disposaient des moyens nécessaires pour faire intervenir des ateliers probablement venus directement d’Italie. En France, les décors de deuxième style sont rares et limités au sud du pays. Aucun site n’a toutefois livré jusqu’alors un ensemble aussi conséquent offrant une telle diversité et une telle qualité.
Les peintures témoignent d’un goût marqué pour l’ostentation et le luxe, reflet d’un commanditaire cultivé, profondément imprégné de culture romaine et disposant des moyens suffisants pour faire intervenir des peintres de haut niveau, probablement venus d’Italie.
Par son ampleur, sa richesse et sa précocité, le programme pictural de la maison de la Harpiste constitue un jalon essentiel dans l’histoire de la peinture murale romaine en Gaule.
La pièce d’apparat décorée d’un cortège dionysiaque
La découverte majeure du site de la verrerie provient de la pièce centrale interprétée comme une salle de réception. Elle présente un décor dit « mégalographique » unique en Gaule. Entre des colonnes une douzaine de personnages de grande taille prennent place sur des piédestaux. Ils sont représentés tels des sculptures dans une galerie. Figures féminines et masculines, disposées en alternance sur un fond rouge vermillon, relèvent du cortège dionysiaque.
Les figures féminines sont des ménades, adoratrices de Dionysos, représentées en train de danser et de jouer de la musique. La harpiste, qui donne son nom à la maison, y figure à l’extrémité droite du mur principal. Son bras gauche tient le montant d’une harpe tandis que sa main droite, perceptible à l’arrière, en pince les cordes. Son visage révèle une très grande qualité d’exécution, ce qu’indiquent le modelé, l’expression et la finesse des traits. Le strabisme de la harpiste témoigne du réalisme de la représentation. Les figures masculines sont représentées notamment par un silène, des satyres et le dieu Pan reconnaissable à ses jambes de bouc son torse velu et ses cornes.










Ce thème, associé à Dionysos, est particulièrement adapté à une pièce vouée aux banquets et aux réjouissances. Ce type de scène est rarissime, même en Italie, et la découverte de la maison de la Harpiste en constitue le premier exemple connu en Gaule. Ce décor entre notamment en résonance avec une découverte récente à Pompéi, dans la maison du Thiase, où un décor comparable évoque les mystères dionysiaques.


Décor architecturaux au rez-de-chaussée et à l’étage : un raffinement généralisé
Une autre pièce, sans doute une chambre ou un triclinium, révèle un programme décoratif différencié selon les espaces. L’antichambre, aux tons sobres, donne accès à une alcôve aux couleurs éclatantes, rehaussées de faux marbres et d’une frise animée. Dans l’antichambre, une paroi complète a pu être remontée, restituant une pièce haute de 2,90 m et une fenêtre ouvrant sur l’atrium. Le bas des murs imite un podium en marbre gris, sur lequel sont disposées des colonnes jaunes coiffées de chapiteaux corinthiens, surmontées de trois rangs de blocs fictifs aux couleurs verte, jaune et violette. Dans l’alcôve, le décor plus coloré présente notamment une frise animée : des Amours ailés, nus et armés de lances, chassent des animaux dans un paysage végétal stylisé.
Point remarquable, l’étage aussi était décoré avec un soin extrême. Les peintures retrouvées dans les couches d’effondrement révèlent une ornementation aussi riche que celle du rez-de-chaussée si ce n’est que le cinabre (lien), le pigment le plus couteux du monde romain, y est adopté encore plus largement. Ce soin apporté à l’étage illustre une attention extrême portée à l’ensemble de l’espace domestique.






Un projet muséographique ambitieux
Parallèlement aux fouilles et aux études, un projet muséographique a vu le jour pour restituer, physiquement et virtuellement, une ou deux pièces de la maison au sein des collections du musée départemental Arles antique. Sols, seuils et peintures déposés sont en cours de restauration, tandis que les études scientifiques du mobilier se poursuivent.
Ce travail de recherche et de conservation a une double vocation : diffuser les résultats à la communauté scientifique et intégrer ces pièces exceptionnelles aux collections du musée départemental Arles antique, afin que le public puisse découvrir ce patrimoine exceptionnel.