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Maison de la Harpiste

LA MAISON DE LA HARPISTE

Chapeau
La maison de la Harpiste, découverte majeure des fouilles de la Verrerie, illustre l’urbanisation précoce de la rive droite du Rhône et offre le plus bel ensemble de peinture murale de Gaule pour cette période (Iᵉʳ s. av. J.-C.).
Corps
Mur en grand appareil antérieur à la maison de la Harpiste (début Iᵉʳ siècle av. J.-C. ?)
Mur en grand appareil antérieur à la maison de la Harpiste (début Iᵉʳ siècle av. J.-C. ?), MDAA-Inrap © Alain Genot
Mur en grand appareil antérieur à la maison de la Harpiste (début Iᵉʳ siècle av. J.-C. ?), MDAA-Inrap © Alain Genot

Aux origines de l’urbanisation : les niveaux anciens de la Verrerie

Les fouilles réalisées entre 2013 et 2017 ont renouvelé notre compréhension de l’urbanisation de la rive droite du Rhône entre 100 et 40 av. J.-C. Cette période charnière marque l’intégration d’Arles à la Gaule transalpine sans qu’elle soit encore une colonie romaine. Contrairement à ce que l’on pensait, ce secteur de la cité n’était pas vierge de constructions avant la fondation de la colonie romaine d’Arles en 46-45 av. J.-C. 

Des sondages restreints menés en fin de fouille à l’automne 2017 ont révélé, sous la maison de la Harpiste et ses abords, une occupation, vraisemblablement un habitat daté du début du Ier siècle av. J.-C. 

Murs en grand appareil, sols en béton de tuileau, fragments de stuc peint et mobilier céramique importé se rattachent à la sphère culturelle gréco-italique qui se rapproche de celle de la maison de la Harpiste qui lui a succédé. La réutilisation d’éléments architecturaux, comme un puits par la suite intégré dans la maison de la Harpiste, confirme une continuité d’occupation.

Enduit peint représentant une Harpiste (juillet 2015)
Enduit peint représentant une Harpiste (juillet 2015), Inrap-MDAA © Rémi Bénali
Enduit peint représentant une Harpiste (juillet 2015), Inrap-MDAA © Rémi Bénali

Une maison d’exception avant la colonie

C’est dans ce contexte déjà largement romanisé que s’implante la maison dite « de la Harpiste », du nom d’un personnage figuré dans son décor peint. 

Construite entre 70 et 50 av. J.-C., sa conservation remarquable est due à son abandon volontaire entre 50 et 40 av. J.-C., suivi d’un comblement par un remblai de destruction de 1,40 mètre d’épaisseur, riche en briques, enduits, fragments de plafonds et vestiges architecturaux. 

Les études en cours des différentes catégories de matériel (peintures, tuiles, vaisselle, graines…) révèlent que le propriétaire a vraisemblablement fait venir d’Italie des matériaux de construction et une main d’œuvre spécialisée pour construire et décorer sa maison, des plantes comme le cyprès, alors absent de notre territoire pour agrémenter son jardin et même de la vaisselle et des produits de consommation pour ses repas. 

La maison de la Harpiste en cours de fouille (juin 2017) avec en arrière-plan la Verrerie du XVIIIᵉ siècle
La maison de la Harpiste (70-50 av. J.-C.) en cours de fouille (juin 2017) avec en arrière-plan la Verrerie du XVIIIᵉ siècle, MDAA-Inrap © Marie-Pierre Rothé
La maison de la Harpiste (70-50 av. J.-C.) en cours de fouille (juin 2017) avec en arrière-plan la Verrerie du XVIIIᵉ siècle, MDAA-Inrap © Marie-Pierre Rothé

Le plan classique d’une domus romaine

Sur 105 m² fouillés, la maison présente le plan traditionnel d’une maison urbaine (domus) de la fin de la République : un atrium central partiellement couvert, doté d’un impluvium (bassin collecteur des eaux de pluie), autour duquel s’articulent les pièces.

À l’est, une colonnade s’ouvre sur un jardin. Deux pièces contiguës ont été fouillées intégralement : l’une, une chambre ou une salle à manger, possède un sol en béton incrusté de pierres colorées et des murs peints décorés de décors architecturaux ; l’autre, ouverte sur l’atrium, était vraisemblablement une salle de réception. Elle se distingue par un sol peint et un décor mural exceptionnel, notamment la représentation de la harpiste. 

Matériaux et techniques innovants

La maison adopte des modes de construction et de décoration caractéristique du monde romain et encore très peu diffusés en Gaule à cette époque (70-50 av. J.-C.). Mur maçonné en béton (opus caementicium), sol en briquette (opus spicatum), décors peints avec des figurations de grande taille, tuiles et gargouilles décoratives en terre cuite en témoignent. Ces innovations techniques traduisent l’intervention d’artisans (maçons, peintres, tailleurs de pierre, tuiliers) susceptibles d’être venus d’Italie pour construire cette maison. 

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Maison de la Harpiste, pièce fouillée en 2014 présentant un décor peint imitant l'architecture de manière illusionniste
Maison de la Harpiste, pièce fouillée en 2014 présentant un décor peint imitant l'architecture de manière illusionniste, MDAA © Marie-Pierre Rothé
Maison de la Harpiste, pièce fouillée en 2014 présentant un décor peint imitant l'architecture de manière illusionniste, MDAA © Marie-Pierre Rothé
Fouille de l'impluvium par une équipe de bénévoles. En arrière-plan, remblai en place contenant des éléments d'effondrement de la toiture, dont les gargouilles
Fouille de l'impluvium par une équipe de bénévoles. En arrière-plan, remblai en place contenant des éléments d'effondrement de la toiture, dont les gargouilles, MDAA-Inrap © Marie-Pierre Rothé
Fouille de l'impluvium par une équipe de bénévoles. En arrière-plan, remblai en place contenant des éléments d'effondrement de la toiture, dont les gargouilles, MDAA-Inrap © Marie-Pierre Rothé
Sol en opus spicatum provenant de l'étage
Sol en opus spicatum provenant de l'étage, MDAA-Inrap © Marie-Pierre Rothé
Sol en opus spicatum provenant de l'étage, MDAA-Inrap © Marie-Pierre Rothé
Gargouille trouvée dans l'impluvium
Gargouille trouvée dans l'impluvium, MDAA-Inrap © Alain Genot
Gargouille trouvée dans l'impluvium, MDAA-Inrap © Alain Genot
Croquis d’évocation de l’hypothétique jardin de la maison de la Harpiste, vu depuis l’atrium
Croquis d’évocation de l’hypothétique jardin de la maison de la Harpiste, vu depuis l’atrium, Ipso-Facto-MDAA © Margaux Tillier
Croquis d’évocation de l’hypothétique jardin de la maison de la Harpiste, vu depuis l’atrium, Ipso-Facto-MDAA © Margaux Tillier
Matériel carpologique (graines) préservé dans les échantillons issus du puits de la maison de la Harpiste – Ipso-Facto - MDAA©  Margaux Tillier
Matériel carpologique (graines) préservé dans les échantillons issus du puits de la maison de la Harpiste – Ipso-Facto MDAA © Margaux Tillier
Matériel carpologique (graines) préservé dans les échantillons issus du puits de la maison de la Harpiste – Ipso-Facto MDAA © Margaux Tillier

Un jardin à la romaine

La colonnade et le stylobate bordant l’atrium suggèrent une ouverture sur un espace végétalisé. Des analyses de graines extraites des sédiments du puits ont permis de reconstituer un jardin mêlant plantes vivrières (légumes, aromates) et ornementales (cyprès, myrte, buis). Le cyprès, en particulier, constitue le plus ancien témoignage connu en Gaule, suggérant que le propriétaire a importé ses plants d’Italie pour reproduire son jardin à la romaine. Ce jardin souligne l’adoption de tout un art de vivre inspiré des élites italiennes.

 

 

Un chef-d’œuvre pictural en Gaule romaine : les décors peints de la maison de la Harpiste

Le décor peint de la maison de la Harpiste est une référence en Gaule. Cet ensemble révèle une qualité d’exécution, une richesse iconographique et un état de conservation inégalées pour cette période. Près de 1 000 caisses de fragments ont été collectées, dont 800 issues de cette seule demeure. 

Décors peints de la maison de la Harpiste
Décors peints de la maison de la Harpiste, Inrap-MDAA © Rémi Bénali, Julien Boislève, Marie-Pierre Rothé
Décors peints de la maison de la Harpiste, Inrap-MDAA © Rémi Bénali, Julien Boislève, Marie-Pierre Rothé

À cela s’ajoutent les huit parois peintes prélevées par les restaurateurs, l’une d’elles préservées sur une longueur de 4m60 et une hauteur d’un mètre. Dans le cadre de l’étude, une vingtaine de décors ont été identifiés. Ils relèvent du deuxième style pompéien qui se caractérise par une imitation d’éléments architecturaux intégrant des compositions illusionnistes.

Ce type de peinture, en vigueur en Italie a essaimé dans l’Empire au gré des conquêtes. Seuls les plus riches commanditaires, pétris de culture romaines, disposaient des moyens nécessaires pour faire intervenir des ateliers probablement venus directement d’Italie. En France, les décors de deuxième style sont rares et limités au sud du pays. Aucun site n’a toutefois livré jusqu’alors un ensemble aussi conséquent offrant une telle diversité et une telle qualité. 

Les peintures témoignent d’un goût marqué pour l’ostentation et le luxe, reflet d’un commanditaire cultivé, profondément imprégné de culture romaine et disposant des moyens suffisants pour faire intervenir des peintres de haut niveau, probablement venus d’Italie.

Par son ampleur, sa richesse et sa précocité, le programme pictural de la maison de la Harpiste constitue un jalon essentiel dans l’histoire de la peinture murale romaine en Gaule. 

La pièce d’apparat décorée d’un cortège dionysiaque

La découverte majeure du site de la verrerie provient de la pièce centrale interprétée comme une salle de réception. Elle présente un décor dit « mégalographique » unique en Gaule. Entre des colonnes une douzaine de personnages de grande taille prennent place sur des piédestaux. Ils sont représentés tels des sculptures dans une galerie. Figures féminines et masculines, disposées en alternance sur un fond rouge vermillon, relèvent du cortège dionysiaque. 

Les figures féminines sont des ménades, adoratrices de Dionysos, représentées en train de danser et de jouer de la musique. La harpiste, qui donne son nom à la maison, y figure à l’extrémité droite du mur principal. Son bras gauche tient le montant d’une harpe tandis que sa main droite, perceptible à l’arrière, en pince les cordes. Son visage révèle une très grande qualité d’exécution, ce qu’indiquent le modelé, l’expression et la finesse des traits. Le strabisme de la harpiste témoigne du réalisme de la représentation. Les figures masculines sont représentées notamment par un silène, des satyres et le dieu Pan reconnaissable à ses jambes de bouc son torse velu et ses cornes.

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Décor mégalographique : représentation de la Harpiste
Décor mégalographique : représentation de la Harpiste, MDAA-Inrap © Rémi Bénali
Décor mégalographique : représentation de la Harpiste, MDAA-Inrap © Rémi Bénali
Décor mégalographique : représentation d'une ménade dansant
Décor mégalographique : représentation d'une ménade dansant, MDAA-Inrap © Rémi Bénali
Décor mégalographique : représentation d'une ménade dansant, MDAA-Inrap © Rémi Bénali
Décor mégalographique : le dieu Pan aux jambes de bouc
Décor mégalographique : le dieu Pan aux jambes de bouc, MDAA-Inrap © Rémi Bénali
Décor mégalographique : le dieu Pan aux jambes de bouc, MDAA-Inrap © Rémi Bénali
Décor mégalographique  la tête du dieu Pan
Décor mégalographique la tête du dieu Pan, MDAA-Inrap © Rémi Bénali
Décor mégalographique la tête du dieu Pan, MDAA-Inrap © Rémi Bénali
Décor mégalographique  ménade dansant et jouant de la flute
Décor mégalographique ménade dansant et jouant de la flute, MDAA-Inrap © Rémi Bénali
Décor mégalographique ménade dansant et jouant de la flute, MDAA-Inrap © Rémi Bénali

Ce thème, associé à Dionysos, est particulièrement adapté à une pièce vouée aux banquets et aux réjouissances. Ce type de scène est rarissime, même en Italie, et la découverte de la maison de la Harpiste en constitue le premier exemple connu en Gaule. Ce décor entre notamment en résonance avec une découverte récente à Pompéi, dans la maison du Thiase, où un décor comparable évoque les mystères dionysiaques.

Peinture de la maison de la Harpiste en cours d'étude (juin 2021)  décor architectural remonté sur 2m50
Peinture de la maison de la Harpiste en cours d'étude (juin 2021) décor architectural remonté sur 2m50, Inrap-MDAA © Julien Boislève
Peinture de la maison de la Harpiste en cours d'étude (juin 2021) décor architectural remonté sur 2m50, Inrap-MDAA © Julien Boislève

Décor architecturaux au rez-de-chaussée et à l’étage : un raffinement généralisé

Une autre pièce, sans doute une chambre ou un triclinium, révèle un programme décoratif différencié selon les espaces. L’antichambre, aux tons sobres, donne accès à une alcôve aux couleurs éclatantes, rehaussées de faux marbres et d’une frise animée. Dans l’antichambre, une paroi complète a pu être remontée, restituant une pièce haute de 2,90 m et une fenêtre ouvrant sur l’atrium. Le bas des murs imite un podium en marbre gris, sur lequel sont disposées des colonnes jaunes coiffées de chapiteaux corinthiens, surmontées de trois rangs de blocs fictifs aux couleurs verte, jaune et violette. Dans l’alcôve, le décor plus coloré présente notamment une frise animée : des Amours ailés, nus et armés de lances, chassent des animaux dans un paysage végétal stylisé.

Point remarquable, l’étage aussi était décoré avec un soin extrême. Les peintures retrouvées dans les couches d’effondrement révèlent une ornementation aussi riche que celle du rez-de-chaussée si ce n’est que le cinabre (lien), le pigment le plus couteux du monde romain, y est adopté encore plus largement. Ce soin apporté à l’étage illustre une attention extrême portée à l’ensemble de l’espace domestique.

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Décor peint de l'étage d'inspiration architecturale (2022)
Décor peint de l'étage d'inspiration architecturale en cours d'étude (2022), Inrap-MDAA © Rémi Bénali
Décor peint de l'étage d'inspiration architecturale en cours d'étude (2022), Inrap-MDAA © Rémi Bénali
Enduit peint découvert en 2014. Le décor imite l'architecture et  marque très nettement une division de l’espace par un traitement chromatique différent
Enduit peint découvert en 2014. Le décor imite l'architecture et marque très nettement une division de l’espace par un traitement chromatique différent, MDAA © Marie-Pierre Rothé
Enduit peint découvert en 2014. Le décor imite l'architecture et marque très nettement une division de l’espace par un traitement chromatique différent, MDAA © Marie-Pierre Rothé
Décor peint représentant une frise d'amours chasseurs
Décor peint représentant une frise d'amours chasseurs - en cours d'étude (2021), Inrap-MDAA © Rémi Bénali
Décor peint représentant une frise d'amours chasseurs - en cours d'étude (2021), Inrap-MDAA © Rémi Bénali

Un projet muséographique ambitieux

Parallèlement aux fouilles et aux études, un projet muséographique a vu le jour pour restituer, physiquement et virtuellement, une ou deux pièces de la maison au sein des collections du musée départemental Arles antique. Sols, seuils et peintures déposés sont en cours de restauration, tandis que les études scientifiques du mobilier se poursuivent.

Ce travail de recherche et de conservation a une double vocation : diffuser les résultats à la communauté scientifique et intégrer ces pièces exceptionnelles aux collections du musée départemental Arles antique, afin que le public puisse découvrir ce patrimoine exceptionnel.